CROSSING ICELAND
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AVANT-PROPOS
- Ainsi, c'est la quête de la connaissance de soi qui forme le grand voyage de l'existence -
Une vie... Un scénario...
Adolescent, j'avais un besoin cruel d'aventure, besoin que je n'arrivais jamais à satisfaire tant il était profond. Mais, si je ne pouvais vivre aucune histoire, alors peut-être pourrais-je les imaginer ? C'est à ce moment précis que je me suis pris de passion pour les histoires et plus précisément pour l'art de les construire et de leur donner vie. C'est ce qu'on appelle la narratologie, l'étude de la narration, de la construction d'un récit et des éléments qui composent la recette d'une histoire pour la rendre cohérente, puissante et chargée de sens.
Après cette période de passion pour la narratologie, je n'ai cessé de voir ma vie comme un scénario, où le protagoniste, encore inconscient de ses faiblesses et inapte à évoluer, devra faire face à une série d'incidents et d'aléas. Épreuves qui feront naître chez lui peurs, déni et angoisses. Le protagoniste sera progressivement poussé à l'épuisement puis à un point de rupture qui provoquera chez lui, à condition qu'il soit prêt à l'accueillir, une prise de conscience, un instant de révélation, qui lui donnera les clefs pour enfin se sortir de la souffrance.  Ces clefs de conscience, si elles sont bien utilisées, permettront au héros d'accéder à l'épreuve finale, une étape de jugement dernier qui symbolisera son salut… ou bien sa mort s'il n'a pas su tirer d'enseignements des épreuves passées. Dans la mesure où celui-ci a passé cette ultime épreuve, une étape de transformation se poursuit où le héros accepte pour de bon de changer intérieurement, d'accéder à un nouveau stade de conscience afin de résoudre tous les conflits qui se sont dès lors présentés à lui et qui se présenteront à lui. Ainsi, pour moi, les périodes de souffrances et de doutes sont toujours salutaires et s'accompagnent toujours d'un vent de renouveau et de création.
Si je ne suis jamais devenu scénariste ou même un grand spécialiste de la narration, j'ai en revanche compris que les héros de nos histoires n'étaient pas si différents de nous. Comprendre comment un personnage était amené à vivre des péripéties pour en tirer des enseignements et en ressortir transformé, m'a beaucoup appris sur les comportements humains et la manière dont je devais appréhender telle ou telle épreuve dans ma vie.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Afin que vous puissiez comprendre comment ce projet de traversée de l'Islande est apparu à moi comme une évidence.
Hiver, vide émotionnel et épuisement.
Aller vers l'autre est pour moi un désir et non un besoin. J'aime tout simplement la solitude, car je me satisfais à moi-même et je n'éprouve que très rarement ce sentiment d'être incomplet.
Mais… l'hiver dernier, j'ai expérimenté quelque chose de nouveau, l'une des périodes les plus difficiles de ma vie. Une série de rencontres et d'histoires sentimentales sans lendemain qui ont provoqué chez moi une souffrance, mais surtout un vide émotionnel que je n'avais alors jamais ressenti. Cette période dura de longues semaines et je savais que pour m'en extraire, il fallait que j'aille de l'avant, mais également que j'atteigne, à l'instar d'un protagoniste, un point d'épuisement, de rupture qui me permette d'atteindre une étape de révélation, de prise de conscience.
Seulement, comment allais-je faire pour atteindre ce point de rupture, car mon quotidien ne me permettait pas d'y accéder, au contraire, il m'entretenait toujours dans cette même intensité de souffrance, comparable à une drogue, celle qui est désagréable et vous empoisonne, mais qui est bien assez agréable pour que vous en repreniez. Et tant qu'un drame n'est pas arrivé, vous perdurez dans ce schéma de souffrance.
Le vide émotionnel et sentimental étaient la principale cause de ma souffrance, il me fallait donc vivre une expérience où ce vide serait omniprésent, omnipotent et impitoyable envers moi. Ainsi, je me devais d'être seul, livré à moi-même, sans rien ni personne autour de moi pendant plusieurs jours. Naturellement, cet épuisement se devait d'être physique en plus de mental, et quoi de plus naturel et sain que de marcher pour prétexter l'épuisement. 
Et c'est ainsi que m'est apparu comme une évidence ce projet de traversée de l'Islande.
Se dépasser
À mes proches, je disais que ce projet n'était qu'une épreuve sportive, une expérience à faire au moins une fois dans sa vie, une manière originale de passer des vacances et de satisfaire mon envie d'aventure. Mais tout cela n'était qu'un masque pour cacher les bien plus grandes ambitions que cette traversée représentait pour moi.
Au cours de mes aventures passées, j'ai eu de nombreuses fois l'occasion de tester mes limites physiques sans pour autant les atteindre mentalement. Se dépasser sur tous les plans, un rêve que poursuivent de nombreux sportifs et que je poursuis également. Ainsi, au travers de cette ultime épreuve, je voulais voir où mon mental me porterait, avec des limites physiques qui seraient sans nul doute rapidement atteintes.
La conscience sans la pensée
Être "conscient", c'est accéder aux pleins pouvoirs de l'instant. Votre attention est intégralement et intensément dans le présent, vous pouvez sentir votre énergie et l'être qui sommeil en vous afin d'accéder à une sorte d'illumination.
Être "penseur", c'est faire parler son égo, ses goûts, ses jugements, ses peurs, ses interprétations... toutes choses qui vous éloignent du moment présent et vous rendent ainsi 'inconscient". Lorsqu'elle n'est plus reliée au très grand royaume de la conscience, la pensée seule devient stérile, insensée, destructrice.
Être "Témoin de la pensée", c'est être plus qu'un simple penseur, c'est être la présence qui joue le rôle témoin. Ainsi, quand vous observez une pensée, vous êtes non seulement conscient de celle-ci, mais aussi de vous-même en tant que témoin de la pensée. Cela vous permet d'accéder à un nouveau stade de la conscience et de garder votre attention sur l'instant présent.
Comme beaucoup, il m'arrive souvent d'évoquer le passé avec mes proches. Discussions durant lesquelles je m'aperçois que de nombreuses périodes de mon existence ont été purement et simplement effacées de ma mémoire. Ces périodes, dénuées de souvenirs, correspondent le plus souvent à des moments de doutes, d'angoisses, d'attentes, d'incertitudes ou de projection dans l'avenir. J'étais prisonnier de la "pensée" et devenait "inconscient", la peur et l'émotion prenait totalement possession de moi, je devenais elles et agissais en fonction d'elles. Il en ressort ainsi que j'ai manqué plusieurs fois le présent, qui pourtant est la chose la plus précieuse qui soit.
À l'opposé, les moments de mon existence dont je me rappelle le plus, sont ceux où j'utilisais pleinement mes sens, quand j'étais véritablement là où j'étais et que je faisais le vide mental, c'est-à-dire quand j'usais de la conscience sans la pensée.
Être seul avec moi-même est quelque chose dont je suis accoutumé et qui m'est la plupart du temps nécessaire pour me reconstruire. En Islande, je serai plus que jamais seul et je sais par avance que l'un de mes plus grands combats sera de faire barrage à ces pensées, ce mental qui me dévore et m'empêche de vivre en pleine conscience de l'instant présent.
Pour être honnête avec toi, je me sens, par nature, incapable de remporter ce combat de la conscience face à la pensée. Réfléchir au futur, calculer, anticiper, se questionner est pour moi un processus bien trop rassurant et bien trop encré en moi pour que je puisse m'en défaire ne serait-ce qu'une poignée d'heures. Si je ne suis addict à aucune drogue "physique", je suis en revanche addict à ces pensées qui éclipsent continuellement ma conscience. Je ne me fais donc pas d'illusion sur ce qu'il se passera en Islande, mais l'intention même de ce projet est d'aller de l'avant, je ferai donc de mon mieux pour me reconnecter au présent. Sentir le vent et la poussière mordre ma peau, la pluie et le froid pétrifier mes chaires et mon cœur résonner à chaque pas posé devant l'autre.
"Rien n'est produit dans le passé : cela s'est produit dans le présent. Rien ne se produira jamais dans le futur : cela se produira dans le présent."
Considération personnelle
J'ai peur.
J'ai peur, non pas du jugement des autres, mais bien de mon propre jugement. J'entretiens une relation particulière avec moi-même, remarque que l'on m'a souvent faite. Juste à côté du Samuel qui vous écrit ces lignes, il y a aussi un Samuel qui l'observe avec sévérité et intransigeance. Cette entité veille sur moi tout autant qu'elle me surveille. Je la connais depuis un bon moment, même si je ne sais pas vraiment comment elle est arrivée là, surement depuis qu'il m'a fallu grandir sans mes deux parents réunis. Toujours est-il que cette entité partage des ressemblances physiques avec mon père et moi, sans pour autant nous représenter, car elle est beaucoup plus grande, forte et imposante que nous. Dans mes rêves, je cherche parfois à lui faire face, mais elle ne se laisse jamais observer. Elle est tapie dans l'obscurité, c'est elle qui m'observe et toujours dans mon dos. La communication est presque impossible, étant donné qu'elle est à sens unique. Je la déteste. Je la déteste parce qu'elle me pourrit la vie, je n'ai jamais le droit de m'amuser quand elle est là, il faut toujours que je sois dans la productivité ou la quête de sens.
Je pourrais tout à fait m'en défaire et la chasser une bonne fois pour toutes de mon esprit, mais cela reviendrait à détruire une partie de moi-même que je n'assumerai pas de perdre. Un peu comme deux frères siamois qui partagent un même organe. Cette entité a besoin de moi pour vivre et exister, mais moi je n'ai pas besoin d'elle pour tout ça, en revanche j'ai besoin d'elle pour m'aimer. Ces derniers mois, elle a été plus que jamais présente, et si dans ma vie pleins de choses positives se sont concrétisées, c'est bien grâce à elle, donc je lui suis reconnaissant. Elle est, de ce fait, indissociablement liée à mon amour, ma fierté et mon histoire. D'ailleurs, dans les relations que j'entretiens avec les gens, c'est parfois elle qui s'exprime à ma place.
Mais pour cette traversée, j'ai peur. J'ai peur d'échouer, car si cela se produit, c'est ça colère, sa cruauté, sa violence et son jugement que je devrais subir, et cela me terrifie.
Bien évidemment, vous aurez compris que cette entité est une métaphore, enfin plus ou moins... peut-être aurais-je l'occasion de lui parler durant ma traversée.
Les prémisses d'un nouveau départ
"Dans leurs significations les plus profondes, nos histoires nous préviennent que la plus grande tragédie humaine est de vivre une vie déconnectée de sa véritable nature"
C'est cette tragédie qui me terrifie le plus, bien au-delà du fait de perdre un être cher ou de vivre endetté sans amour ni reconnaissance. Je n'ai pas peur de la vieillesse, j'ai peur ne rien vivre et surtout de ne pas être allé au bout de ma quête de sens. J'ai peur de me réveiller un jour à 50 ans et de me dire que je suis passé à côté de mes rêves, de mes ambitions, juste parce que les excuses ont eu raison de mon courage.
Au-delà de l'expérience éphémère que représente cette traversée, ce projet s'inscrit dans une philosophie de vie que j'ai la volonté de concrétiser sur le long terme. Vivre au plus proche de la nature, se rapprocher de l'essentiel, vivre sobrement et simplement, s'éloigner de l'argent, être nomade… faire du voyage et de ma quête de sens une opportunité de découverte et de rencontre.
Pour clore cet avant-propos, je te propose de lire ces quelques citations tirées d'ouvrages de narratologie. Peut-être auront-elles un sens pour toi.
"Les changements ne semblent arriver qu'une fois que nous avons traversé une expérience déplaisante, celle de notre propre perte."
" Il n'y a aucun moyen de grandir et d'accéder à un nouveau stade de la vie sans abandonner les anciens vestiges de ce que nous avons été auparavant."
" Il n'y a pas d'état stationnaire dans la nature. Toute chose est soit en train de grandir, de croître, de changer, de se développer, soit en train de décliner et de mourir."
"La transformation du héros traite de la nécessité de devenir soi-même. Elle est, en fait, un processus qui requiert de l'épuisement. Ce n'est que lorsqu'une personne est épuisée ou complétement usée à force de résister ou de combattre pour ce qui est usé ou inutile que sa résistance devient finalement suffisamment faible pour que quelque chose de nouveau puisse survenir."
"La manière dont nous affrontons les expériences détermine qui nous sommes. Et il n'y a pas de meilleure raison de raconter nos histoires."
ITINÉRAIRE
- C'est sur les chemins que se gravent les épopées -
Pour ce périple, je souhaitais marcher un minimum de 20 jours. La traversée de l'Islande aurait pu s'effectuer en seulement 350 km par l'itinéraire le plus court, mais cela n'aurait fait qu'une moyenne de 17,5 km par jour. Insuffisant pour espérer atteindre mes limites. J'ai donc modifié l'itinéraire, de telle manière à arriver au chiffre symbolique de 500 km, pour une moyenne de 25 km par jour. Une distance assez courte pour être envisageable, mais bien trop longue pour être réalisable sans souffrance ni dépassement. J'ai pensé cette traversée comme une expédition, c’est-à-dire en totale autonomie alimentaire sans être dépendant d'un quelconque point de ravitaillement. D'autre part, porter moi-même l'ensemble de ma nourriture m'obligerait à faire de sérieuses concessions sur sa quantité, mais également sur mon matériel. Un argument de plus dans ma recherche d'épuration et d'autosuffisance.
Longueur totale de l'itinéraire : 548 km
Objectif de distance quotidienne : 27,4 km
Dénivelé cumulé : +/- 8 970m
Gain d'altitude : 1350m
RAVITAILLEMENT
- Ma nourriture pour 550 km de trek -
Je mange rarement le matin, c'est pour cette raison que j'ai choisi de consommer des repas froids, en l'occurrence des repas que je n'ai pas besoin de réhydrater et surtout je peux consommer tout en marchant. J'ai donc emporté 30 "barres-repas" de la marque FEED, chacune faisant en moyenne 400 kcal pour un poids de 105 g.
Voici le détail des produits :
10 Barres-repas Feed - Noix de coco, chocolat - 105 g - 430 kcal - 21,5 g lipides - 36,1 g glucides - 19,8 g de protéines
8 Barres-repas Feed - Banane, chocolat - 105 g - 410 kcal - 15,9 g lipides - 43,9 g glucides - 20,2 g protéines
2 Barres-repas Feed - Fruits rouges, chocolat - 105 g - 365 kcal - 15 g lipides - 34 g glucides - 23 g protéines
2 Barres-repas Feed - Pommes, cramberries - 105 g - 373 kcal - 10,7 g lipides - 46,6 g glucides - 20 g protéines
2 Barres-repas Feed - Double choco crispy - 105 g - 358 kcal - 14 g lipides - 34 g glucides - 23 g protéines
6 Barres-repas Feed - Citron - 105 g - 387 kcal - 12,8 g lipides - 45,6 g glucides - 20,5 g protéines
Cela nous fait un total de 12 094 kcal pour 3,105 kg, soit un apport théorique de 550 kcal et un allègement de 140 g par jour.